grandeurs et misères d'une victoire

série: 1ère guerre mondiale
éditeur: Plon
auteur: Clemenceau Georges
classement: biblio2B
année: 1968 (1930)
format: cartonné, avec jaquette
état: TBE
valeur: 8 €
critère: *
remarques: grandeurs et misères d'une victoire
témoignage de Clémenceau sur la période, conclue par la victoire,
où il joua le rôle décisif que l'on sait

Clemenceau dans ce livre se défend surtout des critiques de Foch
(dans son ouvrage intitulé mémorial) qui ne partageait pas toujours
les idées de Clémenceau alors ministre de la guerre (1917)
Foch s'adressait souvent directement au président Poincaré
et souvent désobéissait même à Clémenceau!
et pourtant Clémenceau reconnut que Foch était un grand général
et Clémenceau fut d'accord pour son élection comme maréchal
et au commandement des armées alliées

1/ l'unité de commandement
difficile de faire passer un général français comme commandant suprême
des forces alliées (belges au nord, anglais au nord-centre et français au centre-sud)
>> p. 21 le commandant anglais, sir Douglas Haig, qui déclarait
que son seul chef était le roi George V
on finit par s'accorder lors de la conférence de Doullens (avril 1918)
qui concernait aussi le général US Pershing mais chaque commandant aurait le droit
d'en appeler à son gouvernement si son armée se trouvait en danger réel

2/ le Chemin des Dames (mai 1918)
offensive allemande sur l'Aisne où l'avance allemande
ne peut être arrêtée qu'à Villers-Cotterêts (60 km de Paris)
une défaite pour Foch qui ne s'y attendait pas
et on se demandait aussi pourquoi les troupes en se repliant
n'avaient pas détruit les ponts sur l'Aisne
la responsabilité de Foch est alors mis en cause
mais Clémenceau, soutenu par les alliés, défendra Foch devant le parlement
toutefois réorganisation du haut-commandement

3/ l'emploi des contingents américains
dissentiment avec le général Pershing dont les troupes
manquent d'entraînement et parfois d'équipement (artillerie)
alors que leur entrée en ligne est urgente
car les réserves françaises et britanniques sont épuisées
on enverra même des instructeurs français en Amérique
pour accélérer l'envoi de troupes sur le front français
Pershing voulait concentrer toutes ses troupes en une seule grande armée
d'où son retard à intervenir au front
septembre 1918, premiers combats avec les américains (avec des canons français)
à Saint-Mihiel (à 2 mois de l'armistice)

>> p. 70 Foch qui se prenait pour Napoleon (Clemenceau dixit)
selon Foch, il ne fallait pas donner des ordres, il fallait suggérer!
(avec quoi bien sûr Clémenceau n'est pas d'accord)
2 mio d'américains attendaient en Amérique l'ordre de partir au combat
>> p. 73 l'affaire dite de la villa romaine (voir plus loin)

4/ crise d'effectifs britanniques
>> p. 79 les lignes de front: 35 km aux belges,
200 km aux anglais, 530 km aux français
en mars 1918, la défaite en Flandre avait coûté 200'000 hommes aux anglais
contre 160'000 hommes aux français durant les combats au Chemin des Dames

5/ l'armistice
la Marne et Verdun resteront de hauts faits-d'armes
l'armistice demandée par Max de Bade pour l'Allemagne
mais Poincaré à ce moment ne voulait plus l'armistice (tout comme Foch d'ailleurs)

l'effondrement du soldat allemand alors que le soldat français tenait encore bon
l'Angleterre s'oppose aux conditions les plus sévères pour l'Allemagne
(suivant sa politique traditionnelle d'équilibre continental)

6/ insubordination militaire
Foch était-il grisé par ses exploits?
il discute les ordres de Clémenceau et c'était de l'insubordination par Foch
ce qui aurait pu lui coûter de graves conséquences
>> p. 106 l'incident de la villa romaine (6.10.1918)
à Versailles où Foch prend parti pour Lloyd George contre Clémenceau
refus aussi par Foch de transmettre la dépêche de Clémenceau
pour la convocation des plénipotentiaires allemands
n.v. plénipotentaire = ministre représentant un état auprès d'un autre état =
degré le plus élevé de la carrière diplomatique

7/ l'incident belge
Foch critique (à tort) l'armée belge de faiblesse sur un malentendu
concernant une consigne de repli par l'armée belge
lors des combats sur l'Yser , protestation d'Albert Ier, roi des belges

8/ conférence de la paix
>> p. 122 les imaginations fiévreuses des peuples allemands
Wilson et ses 14 principes
>> p. 126 description des participants: anglais, français, américains, italiens,
canadiens, sud-africains, neo-zelandais, australiens, chinois, japonais et indiens
>> p. 133 mention du traité de Westphalie (1648)
n.b. principaux changements (traité de Westphalie):
remodelage de la carte de l'Europe soit
- annexion officielle par la France des Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun)
qui étaient sous tutelle française depuis 1552, et de la Haute-Alsace, de Brisach (Allemagne),
Décapole (sans Mulhouse) et de Pignerol, ville du Piémont
- reconnaissance définitive (de jure) de l'indépendance de la Confédération suisse
- reconnaissance de l'indépendance des Provinces-Unies (Pays-Bas)
- annexion par la Suède de la Poméranie occidentale et les évêchés de Brême et de Verden
lui donnant le contrôle des bouches de l'Oder, de l'Elbe et de la Weser
- annexion par le Brandebourg de la Poméranie orientale
- attribution du Haut-Palatinat à la Bavière.
le traité de Westphalie a été la base de l'organisation de l'Allemagne
jusqu'à la suppression du Saint-Empire romain germanique en 1806

et où l'on revient à la politique traditionelle de l'inimitié (désaccord, hostilité)

9/ le traité de Versailles
aa) l'effort du président Wilson
Wilson voulait agir au nom de la solidarité historique des peuples civilisés
louange de Clémenceau à Wilson et son conseiller le colonel House
Wilson fut l'instigateur de la SDN (Société des Nations)
mais le parlement américain ne voulut pas reconnaître le traité
et préféra revenir à la doctrine Monroe
(ne voulant pas une intervention européenne dans les affaires des Etats-Unis)
les américains ne perdirent que 56'000 hommes
alors que la France avait eu 1,3 mio de morts, 0,7 mio de mutilés et 3 mio de blessés

bb) l'Europe de droit
recherche d'un compromis durable sans oublier
que l'Angleterre veut garder la domination des mers et
que les USA allaient s'enrichir au dépens de la vieille Europe
et suite à l'effondrement de la Russie tsariste,
dans toute l'Europe de l'Est, les nationalités relevaient la tête
une paix de droit, une Europe de droit succédaient
à la guerre du droit
>> p. 161 le partage de la Pologne, effectué par Catherine de Russie,
Marie-Thérèse d'Autriche et Frédéric II de Prusse,
avait été le plus grand crime de l'histoire

et déjà (en 1920-1930) des problèmes coloniaux se développaient
pour la France et l'Angleterre
>> p. 169 la paix est une disposition de forces supposées d'équilibre durable

cc) traité - la Rhénanie
proposition pour une Rhénanie indépendante
sous Napoleon, le Rhin était frontière française
un mouvement de liberté rhénane (y compris la Westphalie) voit le jour
pour se séparer de l'Allemagne mais il est mal accueilli par la majorité de la population
- le bourgmestre de Cologne, Conrad Adenauer, y est assez favorable
mais l'idée du séparatisme est mal acceptée
- le général Mangin dirige les troupes qui occupent la Rhénanie
et soutient indirectement les séparatistes
>> p. 184 une république rhénane serait fondée dans le cadre de l'Allemagne
comprenant la province rhénane, le Vieux Nassau,
la Hesse rhénane et le Palatinat (proposition du 1.6.1919)
>> p. 191 émeutes de Pirmassens le 12.2.1924 contre les séparatistes
sans que les forces d'occupation puissent intervenir à temps
celles-ci devant de toute façon observer une stricte neutralité
nb. les rhénans ne voulaient pas être allemands (sous domination prussienne)
mais voulaient encore moins être français
et ce fut la fin du mouvement séparatiste

dd) le traité, pacte de garantie
en fait on voulait faire de la Rhénanie une frontière stratégique
(l'occupation française prévue pour 15 ans selon l'art. 419 du traité
ne dura que 12 jusqu'en 1930)
et on ne voulait surtout pas en faire une nouvelle Alsace-Lorraine
on s'accorda finalement pour une démilitarisation allemande de la Rhénanie
(rive gauche du Rhin) à la fin de l'occupation française
ce fut une partie du pacte de garantie
>> p. 211 l'avidité de l'Amérique pour ses créances envers la France
sans prendre en considération les payements de réparation à venir de l'Allemagne

10/ les critique de l'escalier
les critiques de Foch concernant la visite de Clémenceau aux USA
(voyage de parade selon Foch)
alors que Clémenceau se rendait aux USA pour y défendre la position française,
notamment la notion de militarisme attribuée faussement à Clémenceau
>> p., 223 toutefois l'Allemagne avait trop pris pour
n'être pas condamnée à rendre
>> p. 226 malgré quelque animosité contre Foch, Clémenceau avait soutenu
sa nomination comme maréchal de France (d'ailleurs aussi attribué à Pétain)
>> voir annexe la lettre de remerciement de Foch
>> p. 217 description de la diplomatie où dans le mot,
il y a la racine double, au sens de plier

11/ sensibilité allemande
surtout une diatribe contre l'Allemagne par Clémenceau
les causes de la 1ère guerre mondiale:
- le revanchisme français (Alsace-Lorraine)
- la poudrière des Balkans dont la question de la Yougoslavie depuis 1878
- le "Drang allemand nach Osten"
- les rivalités coloniales
- la montée en puissance des sentiments nationaux
et aussi diverses causes économiques et sociales
l'attentat de Sarajevo en fut le détonateur

le but de la civilisation germanique: absorber les autres peuples
l'universelle suprématie germanique "Deutschland über alles"
la guerre 14-18 = la plus grande guerre de l'histoire
>> p. 235 les dégâts infligés par la sauvagerie allemande
>> voir à ce sujet le manifeste des 93 savants allemands =
les représentants d'une "culture" privilégiée (?)
l'antre sacré de la culture germanique: la brasserie
la question de l'Anschluss (annexion de l'Autriche à l'Allemagne),
modèle refusé dans le traité de Versailles
et Clémenceau de prévoir déjà un retour à la politique de domination armée

12/ les mutations du traité de Versailles
aa) mutilations américaines par la paix séparée
paix séparée entre les USA et l'Allemagne
>> p. 257 hommage à la vaillance américaine mais dans des conditions d'insuffisance
(les troupes américaines n'auraient pas pu entrer en ligne sans l'armement français)
>> p. 258 s'assurer les avantages de batailles que les américains n'avaient pas livrées
mais on leur reconnaissait quand même un bel élan d'amitié

bb) les mutilations financières
un traité plutôt lourd de promesses que de réalités
l'Allemagne devait réparer intégralement les dommages matériels causés
1921 la dette allemande est fixée à 132 milliards de marks-or
et la France en recevrait 68 mia (52%) = montant global et forfaitaire
toutefois les français l'avaient fixée à 110 mia uniquement pour la France
(sans avoir défini les modalités de payement)
suite à la crise économique, les alliés renonceront au solde des payements
et l'Allemagne aura finalement payé 23 mia soit 17% du montant fixé en 1921

reprise en partie de l'indépendance allemande par le traité de Rapallo en 1922
entre l'Allemagne et la Russie avec la clause
de la nation la plus favorisée pour la Russie
alors que l'Allemagne n'était pas à même de remplir totalement
ses obligations envers la France
suite à l'interruption des payements, la Ruhr est occupée par les français
qui font main mise sur le charbon en compensation
Mangin = commandant de la force africaine "les sénégalais",
vainqueur à Villers-Cotterêts et chef des forces d'occupation
1928/1929 versement de 1 mia, la Ruhr est évacuée

mais adoption du plan Dawes, puis du plan Young qui réduit
la part de la dette à la France à 420 mio par an durant 37 ans
ce qui ne correspondait qu'à 12% des dommages réels causés par la guerre
et en 1929 la France n'avait touché que 3 mia et suite aux nouveaux accords,
elle devait toucher 22 mia (au lieu des 68 mia)
>> p. 273 la bienveillance du plan Young envers l'Allemagne

cc) mutilations - Locarno 5.10.1925
la comédie de Locarno selon Clémenceau
>> p. 277 à part les allemands, les peuples étaient fatigués de se haïr
et le principe de la victoire alliée était d'ore et déjà aboli
car à Locarno, l'Allemagne voulait participer sur un pied d'égalité avec les autres nations
>> p. 279 Painlevé président du conseil,
Briand affaires étrangères et Caillaux ministres des finances
>> p. 283 le 1.12.1925 les accords de Locarno (le pacte de sécurité) sont signés à Londres
par 7 nations (Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie,
Pologne et Tchécoslovaquie, mais les USA, l'URSS et l'Autriche n'y participent pas)
et les frontières orientales de l'Allemagne n'y sont pas clairement définies

dd) le désarmement français et l'armement allemand
l'Allemagne ne se tient pas aux chiffres fixés dans le traité de Versailles
>> p. 292 pour l'aviation, l'Allemagne a tourné le traité
en créant une aviation commerciale pouvant être transformée en aviation de guerre
une industrie d'armement lourd est installée à l'étranger,
principalement en Russie (avec terrain d'exercice pour les blindés)

les conditions favorables à une nouvelle guerre avec l'Allemagne:
a) population allemande supérieure à celle de la France
b) instruction militaire sous forme d'organisations sportives, associations de tir, etc
c) développement des cadres de la Reichswehr et de la Schutzpolizei

l'Allemagne réarme mais actuellement la guerre se déroule au niveau des réductions
sur les conditions du traité de Versailles

selon Clémenceau, dans une guerre future, le matériel jouera un rôle primordial
et surtout ce matériel se déclassera rapidement,
l'unité dans le commandement sera aussi très important

ee) l'organisation des frontières
en 1930, l'année qui verra se terminer l'occupation de la Rhénanie,
la fortification des frontières n'a guère commencé bien que les crédits ont déjà été alloués
n.b. la ligne Maginot n'existe pas encore

ff) le défaitisme
l'enthousiasme patriotique en France s'est maintenant dissipé
>> p. 313 réflexion sur la patrie et le patriotisme
>> p. 323 l'accusation contre Malvy, alors ministre de l'intérieur,
pour défaitisme en délaissant les affaires et en causant une politique de laissez-faire
(en fait Malvy et Caillaux seront condamnés par la Haute Cour)

is fecit cui prodest = le criminel est celui à qui le crime profite

13/ la paix à reculons
= paix où le vainqueur abandonne au vaincu une part des avantages
achetés au prix du sang sur les champs de bataille
= renoncement aux conditions du traité de Versailles

la plupart des guerres sont des guerres de conquête
le peuple criminel allemand, lui vaincu, fait la grâce
de reconstituer ses forces sur les épaules de la France

toutefois le traité de Versailles aura créé
de nouveaux peuples avec les débris des vaincus
et l'Amérique qui a collaboré à cette création
s'en désintéresse maintenant pour l'avenir
>> p. 334 si l'Allemagne veut se préparer à vivre la paix
qu'elle le prouve et nous n'aurons pas besoin
du chinois de Genève (?) pour nous accorder
la meilleure victoire est celle qui aura aboli une aspiration de revanches
mais actuellement l'allemand est en bataille et le français est insouciant

14/ le soldat inconnu
dissertation sur le soldat inconnu = l'homme = la condition humaine
réponse aux critiques de Foch qui ont fait sortir Clémenceau de son silence
>> p. 340 mieux vaut une victoire sans un grand stratège
qu'un triomphe de stratégie dans la défaite
comme il advint à Napoleon en 1814

- hommage au soldat inconnu, au sacrifice sans parole
- Foch écrit ses critiques non pas contre les mutilations du traité de Versailles
mais pour satisfaire sa rancune personnelle
- façe à l'Allemagne renaissante, la France sera ce que les français auront mérité

appendices
- le rapport de Lord Milner à Lloyd George sur la situation du front le 26.3.1918
(conférence de Doullens) et où le général Foch
fut chargé de coordonner l'action des forces françaises et britanniques sur le front ouest
- lettre de Clémenceau au président US Coolidge en 1926
concernant les divergences avec les USA (en outre la paix séparée)

>> un récit assez intéressant de par l'objectivité des évènements passés et à venir
mais surtout dans lequel Clémenceau règle ses comptes principalement avec Foch
Georges Clémenceau s'est refusé à écrire ses mémoires
car il estimait que tous les faits de sa vie publique étaient clairs et connus
mais ce livre qu'il s'est senti contraint d'écrire à la fin de sa vie
constitue son irremplaçable témoignage sur la période, conclue par la victoire,
où il joua le rôle décisif que l'on sait et sur les principes
qui l'ont animé dans l'élaboration du traité de paix
il ne faut pas s'attendre ici à un déroulement, paisible
et chronologique de souvenirs bien classés,
mais bien d'un écrivain d'un tempérament exceptionnel
rédigeant ce livre en 1929, alors que s'était dissipée l'euphorie de la victoire
et que déjà le traité était vidé de stipulations importantes pour la France
Clémenceau entend à la fois faire justice de
certaines polémiques qui venaient de surgir,
quitte à les relancer, et appeler le pays à plus de constance et d'énergie

ces polémiques avaient pris, surtout, naissance autour des propos du maréchal Foch
Clémenceau avait, certes, constamment soutenu le grand soldat
qu'il avait fait désigner comme commandant suprême
mais celui-ci ne lui paraissait pas toujours se plier
à la nécessaire subordination du civil au militaire
et plus tard, lors du traité de paix, Focht s'était vivement opposé au Tigre,
lui reprochant certains abandons
concédés à l'Allemagne
dont il souhaitait que le Rhin constituât désormais la frontière militaire

Clémenceau, dans son livre, s'explique avec vigueur
et pour s'expliquer, suivant sa nature, il accuse
le jeu des alliés et de ses successeurs qui est vivement dénoncé
il répond sans ambages à Foch et ne dissimule rien
de ses heurts et de ses oppositions avec Raymond Poincaré
ce livre, parce qu'il est passionné, nous passionne aujourd'hui encore,
en dépit du recul de l'histoire
nous y découvrons que le "Père de la Victoire" en plus de son intelligence
aiguë d'homme d'action, était aussi un écrivain de valeur

annexes
- couverture du livre de 1968
- lettre de Foch au président Poincaré
- couverture du livre de 1930
couvertures:
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